Rideaux baissés dans les centres-villes, magasins vides dans les temples de la consommation… Les données que nous publions en exclusivité montrent que la situation se dégrade dans un pays saturé de centres commerciaux.

LE MONDE ECONOMIE | 08.12.2017 à 10h37 • Mis à jour le 08.12.2017 à 19h54 | Par Cécile Prudhomme (Philippe Gagnebet à Perpignan, Nicolas Legendre à Rennes et Jean-Yves Vif à Moulins)

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Centre ville d’Auxerre, desertification commerciale, économique

 « El centre del mon ? Nous, on appelle ça le coin le plus paumé du monde. » La vendeuse de la seule gargote café-sandwich du centre commercial adossé à la gare TGV de Perpignan est amère. Le Centre del mon est vide. Désespérément vide. 85 % des 10 000 m2 de commerces disponibles sont inoccupés. Et pourtant, l’ensemble de 80 000 m2, qui accueille aussi des bureaux sur quatre étages, n’est pas vétuste : il a été construit en 2008, pour plus de 150 millions d’euros par le géant espagnol de l’immobilier Metrovacesa. L’ensemble, racheté une bouchée de pain – 14 millions d’euros –, il y a un an par, le groupe immobilier perpignanais Sofidec, va être vendu à la découpe.

Le Centre del mon est symptomatique d’une France saturée de centres commerciaux. Pas moins de 17 millions de mètres carrés sont aujourd’hui dévolus à ces temples de la consommation. Un trop-plein que le pays n’arrive plus à digérer. Rideaux baissés dans les artères jadis commerçantes des cœurs de ville, boutiques à l’abandon en périphérie… le modèle français est à bout de souffle. En moyenne, 11,3 % des commerces de centre-ville en France étaient déserts en 2016, contre 7,2 % en 2012. Le phénomène s’accentue en 2017 avec 11,7 % de vacance, selon les données de la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé Procos, que Le Monde publie en exclusivité.

Lire l’éditorial :   Ressusciter les centres-villes, chiche !

Cet institut a recensé le nombre de commerces vides en 2016 dans 190 centres-villes, 703 parcs d’activité commerciale, et 691 centres commerciaux dans toute la France. Le constat ? Alarmant. En 2016, 108 communes dépassent un taux de vacance de 10 % dans leur cœur de ville. Elles n’étaient que 21 en 2001. « Au-dessus de 5 %, cela marque un début d’érosion de l’attractivité. Et au-delà de 10 %, on peut parler de phénomène structurel durable », précise Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la ville et le commerce (IVC).

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Morosité de la consommation, concurrence du commerce en ligne

A tel point que, dans certaines cités, comme à Saint-Brieuc, qui, avec près d’un magasin sur cinq fermé, affiche le plus mauvais score des villes bretonnes de plus de 10 000 habitants, l’inauguration d’une Fnac, en novembre 2017, constitue un événement… Morosité de la consommation, concurrence du commerce en ligne, difficultés de stationnement ou d’accès aux villes face à la gratuité des parkings en périphérie, loyers parfois prohibitifs… les explications sont nombreuses.

« Jusqu’aux années 1980, le parc de magasins s’est développé, tiré par la hausse du pouvoir d’achat et la modernisation des boutiques : les moyennes surfaces se substituant aux plus petites, explique M. Madry. Mais, ensuite, les groupes de distribution sont entrés dans une guerre d’emplacement et ont multiplié les ouvertures, quitte à ce que certains magasins ne soient pas rentables. » Une fuite en avant rapidement intenable. Depuis 2008, la saturation est telle que même les grands groupes commencent à fermer des magasins.

« Souvent, le bouc émissaire désigné est le centre commercial de périphérie, mais il y a d’autres facteurs : logements qui se raréfient, exode des familles contraintes de quitter le centre… L’Etat a accompagné le mouvement en déplaçant les services publics, les hôpitaux, les collèges… », avance Gontran Thüring, le délégué général du Centre national des centres commerciaux (CNCC). La ville de Moulins (Allier), par exemple, a dû affronter les fermetures d’usines des années 1980 et 1990, puis la délocalisation des activités tertiaires, dont des structures administratives, vers Clermont-Ferrand. Le centre-ville ne s’en est jamais remis – un magasin sur cinq ayant le rideau baissé – même si la mairie multiplie les initiatives pour tenter de revitaliser la zone.

Ce triste état des lieux n’est pas nouveau

Parallèlement à ces difficultés structurelles, le petit commerce peste contre le nombre croissant de normes et d’obligations qui lui incombe : nécessité d’améliorer l’accessibilité aux personnes handicapées, de s’équiper, au 1er janvier 2018, de logiciels de caisses permettant d’éviter les fraudes à la TVA… « Mis bout à bout, tout cela finit par coûter cher aux indépendants alors que leur chiffre d’affaires a tendance à se réduire », estime William Koeberlé, président du Conseil du commerce de France.

Ce triste état des lieux n’est pas nouveau. En 2013, déjà, la fédération Procos tirait la sonnette d’alarme sur la désertification des centres-villes. En 2016, un rapport de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’environnement et du développement durable qualifiait le phénomène de « préoccupant ». Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, des groupes de travail se sont mis en place cette année pour avancer des propositions concrètes de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. D’ici là, le gouvernement doit dévoiler, le 14 décembre, les contours de son plan national en faveur des villes moyennes lors de la Conférence nationale des territoires, dans le Lot.

Lire aussi :   Le gouvernement peaufine un plan de revitalisation des centres-villes

Si le centre-ville souffre, la situation n’est pas meilleure en périphérie. Dans les parcs d’activité où sont installés des commerces à l’allure de hangars, 7,5 % des emplacements sont inoccupés (contre 5,5 % en 2012). Ce taux grimpe à 12 % pour les centres commerciaux. Trois fois plus qu’en 2012. Près de la moitié d’entre eux dépasse le fameux seuil fatidique des 10 %. Et dans certaines agglomérations, on frôle la friche commerciale. A Brive-la-Gaillarde, huit espaces sur dix sont inutilisés dans le centre commercial Les Passages de Brive.

« Frénésie de construction »

Cet automne, les pouvoirs publics avaient imaginé légiférer en taxant les promoteurs des centres commerciaux situés en banlieue, ou en instaurant un moratoire sur l’ouverture de nouvelles enseignes. Ces idées, avancées par le ministre de l’écologie, Nicolas Hulot, et par celui de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, ont aussitôt été retoquées par Bercy, au nom de la liberté du commerce. D’ailleurs, plus de 1,6 million de mètres carrés de magasins de plus de 1 000 mètres carrés ont été autorisés en 2016. Et d’ici à 2021, pas moins de 37 nouveaux centres commerciaux sont censés rejoindre les 800 déjà existants. Ajoutez-y les 57 parcs d’activité commerciale dans les cartons, les extensions des infrastructures existantes, et ce sont près de 2,5 millions de mètres carrés de plus consacrés au commerce qui bétonneront le territoire, selon les données du CNCC.

Or, les projets pensés aujourd’hui risquent de ne plus coller aux futures habitudes de consommation et aux besoins réels lorsqu’ils ouvriront leurs portes. « Il faut compter dix ans pour développer un centre commercial, dont seulement trois ans pour la construction, le reste étant consacré à la gestion de tous les recours, constate Jean-Philippe Mouton, président d’Hammerson en France. Nous avons ouvert Les Terrasses du port à Marseille en 2014. Onze ans après avoir remporté l’appel d’offres ! »

Face à cette situation, certaines mairies, qui en avaient les moyens financiers, n’ont pas attendu l’action gouvernementale pour tenter de revitaliser leur centre-ville et de mieux réaménager leur périphérie. A Saint-Brieuc, la municipalité a mis en place une « stratégie urbaine à long terme », depuis le début des années 2010 : définition d’un périmètre de sauvegarde du centre-ville, observatoire du commerce, taxe sur les friches commerciales, candidature au label Ville d’art et d’histoire, travaux… « Depuis environ dix-huit mois, on recommence à avoir des demandes d’occupation de locaux, affirme Benoit Le Rest, vice-président de l’association de commerçants Boutik’n’Co. Nous n’avions pas connu ça depuis des années. » 

Agences bancaires, compagnies d’assurances et agences de voyages sont refusées

A Moulins, la mairie propose notamment une aide financière pour favoriser l’installation des nouveaux venus, tout en privilégiant les enseignes attractives pour les consommateurs. Plusieurs agences bancaires, compagnies d’assurances et agences de voyages se sont ainsi vu refuser ces derniers mois leur implantation dans l’hypercentre. « Nous entendons aider, mais également contribuer à organiser et à réguler pour une relance durable », résume Guillaume Boutié, directeur de cabinet du maire. D’autres municipalités, comme Lorient, où le taux des commerces vacants a grimpé en flèche, passant de moins de 5 % en 2001 à 13,1 % en 2016, ont pris des consignes d’urbanisme plus strictes. « Tant que le taux de vacance n’est pas inférieur à 8 %-10 %, la mairie n’autorisera pas de mètres carrés en périphérie », rapporte Bernard Morvan, président de la Fédération nationale de l’habillement.

Metz, l’idée n’est pas de faire une croix sur les centres commerciaux, mais de monter les projets en concertation. Les élus locaux ont imaginé, comme une extension du centre-ville, le nouveau centre commercial Muse, de 37 000 m2, ouvert fin novembre derrière la gare TGV, sur une ancienne friche ferroviaire, où s’est implanté en 2010 le Centre Pompidou-Metz. « L’association des commerçants du centre-ville a validé l’installation de chaque enseigne, dont les deux tiers sont des marques nouvelles », explique Maurice Bansay, président- fondateur du promoteur Apsys.

En périphérie, l’équipe municipale compte sur l’effet darwinien des nouvelles infrastructures, comme le centre commercial Waves, pour aspirer l’activité et faire disparaître du paysage les magasins conteneurs de la zone ActiSud. « Nous avons connu une frénésie de construction de hangars, vite amortis, qui ont fait la fortune de commerçants de Metz, et qui correspondaient au besoin d’aller en voiture partout. Aujourd’hui, ces espaces sont difficiles à gérer et leur activité décline », précise Dominique Gros, le maire (PS) de Metz. Sur les 308 emplacements de la zone ActiSud, 17 % sont vides, selon les chiffres de Procos. « A terme, ils vont fermer, et ces terres vont retourner à l’agriculture », déclare Richard Lioger, député LRM de la 3circonscription de la Moselle. Ou se transformer en zone de loisirs (football en salle, salles de jeu pour enfants…).

« Aujourd’hui, il faut raisonner à l’échelle d’un territoire et non plus projet par projet, confirme Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Cela veut dire qu’il va falloiraccepter de détruire des mètres carrés » et les convertir en d’autres activités. La réponse ne se trouve pas uniquement dans une réforme de l’urbanisme. « Il est indispensable de relancer l’activité économique pour soutenir le commerce, car nous n’avons encore rien vu. Le bouleversement provoqué par l’essor du e-commerce et d’Amazon ne fait que commencer et vient s’ajouter aux égarements passés. » L’urgence est d’autant plus grande qu’en raison de la prédominance des Google, Amazon et autres Cdiscount, qui favorisent la recherche de produits en ligne, les enseignes s’effacent de plus en plus dans l’inconscient des consommateurs.

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Une vidéo  » coup de gueule  » d’ un boulanger !!(Attendre un peu pour lire)